Je n’avais pas vraiment prévu d’écrire sur ce sujet au combien important. En fait, si cette envie, ce besoin est apparu c’est en réaction aux nombreux débats qui ont eu lieu dans les médias suite à la venue de Sandrine Rousseau sur le plateau de Ruquier pour l’émission « On n’est pas couché ».
Pour donner quelques éléments de contexte, je vais prendre quelques instants. Sandrine Rousseau a été secrétaire nationale adjointe du parti politique Europe Écologie les Verts. Lorsqu’elle travaillait pour ce parti, elle a été victime d’une agression sexuelle de la part de Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée nationale. En tout, elles seront 18 femmes à porter plainte pour agression sexuelle contre Denis Baupin. Qui avec grande classe, les attaquera ensuite pour diffamation.
La question politique n’est vraiment pas à l’ordre du jour. Sandrine Rousseau a écrit un livre pour faire part de cette épreuve et du combat qu’elle mène pour libérer et encourager la parole des femmes victimes. Face à elle sur le plateau de l’émission de Ruquier se trouve Christine Angot, qui va littéralement sortir de ses gonds et s’en prendre verbalement à l’invitée. Il me semble important de noter que la chroniqueuse est elle-même une victime, celle d’un père incestueux. Durant, l’enregistrement de l’émission, les deux femmes vont s’emporter, Angot surtout, pour qui le discours de l’invitée est insupportable. Tout ça sous le regard et le silence des hommes présents sur le plateau. En fait, ce qui a été mis en évidence lors de cette séquence c’est que ces deux femmes, victimes, ont mal, qu’elles sont rongées par la colère. Et qu’au final, elles parlent de la même chose.
Il faut libérer la parole des victimes
Vous vous demandez peut-être pourquoi je choisis de vous parler de ça aujourd’hui. La raison est assez simple. Il m’est arrivé quelque chose de ce genre. Moi aussi je fais partie de la catégorie « victime d’agression sexuelle ». Peu de personnes le savent. Non pas parce que je le cache, que j’en ai honte ou que je ne veux pas en parler. Si peu de gens sont au fait de cet épisode, c’est parce que bien franchement, je n’y pense que vraiment très rarement. En fait, je crois que je n’y avais pas pensé depuis des années, jusqu’à hier soir et au passage de Sandrine Rousseau sur le plateau de Quotidien.
Je crois qu’un jour, j’ai fait ce choix, que ça n’aurait aucune incidence sur ma vie. Quand j’y pense, je me dis que ce n’était rien. Que ce vieil homme, à mi-chemin physiquement entre mon grand-père et Jean-Marie LePen a fait quelque chose de mal, mais qu’après tout on s’en fout. C’était il y a longtemps. Que ce baiser qu’il m’a fait sur la joue en me plaquant contre la paroi froide de cet ascenseur fermé, en me tenant fermement par le cou, ce n’était vraiment pas si important. Que ces petits mots qu’il m’a chuchotés à l’oreille en sortant de l’ascenseur, c’était sûrement des mots gentils. Que même si j’ai eu un très peur sur le coup, il n’avait pas l’air si méchant.
Et puis finalement, je réalise. Je réalise que c’est intolérable. Que quelque chose comme ça, ne devrait pas exister. Que l’adolescente de 14 ans que j’étais n’aurait pas dû vivre ça. Et surtout je me rends compte que la femme, que je suis aujourd’hui, ne devrait pas penser qu’au bout du compte ce n’est pas très grave. Que ce n’est pas très important. J’ai l’impression que mon dédain face à ce qui m’est arrivé est aussi grave que ce que ce vieil homme m’a fait.
Cet épisode médiatique, de samedi dernier, m’a servi à me souvenir de ce moment de ma vie. À l’époque, en rentrant chez moi, j’en avais tout de suite parlé à ma mère. Tout aussi rapidement, elle m’a collé dans la voiture et nous avons été porter plainte. J’ai ce souvenir d’avoir entendu les policiers dire que c’était la plainte, celle de plus, qu’ils attendaient pour s’occuper de lui.
Quelques années plus tard, je l’ai croisé dans le bus. Évidemment, il ne m’a pas reconnu. Il doit avoir un tableau de chasse tellement fourni. Je me souviens qu’en le revoyant, j’ai immédiatement été submergée par cette vague de terreur qui m’avait tétanisée dans ce petit ascenseur. Finalement, je ne vois pas trop comment je pourrais oublier. Ça fait partie de moi.
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Ce récit ne vous dit peut-être pas grand-chose. Mais cette statistique, elle, vous touchera peut-être plus : seul 1% des agresseurs sexuels est poursuivi pour ce délit. Tous les autres continuent leur vie normalement, comme si de rien n’était. En faisant, au passage sûrement plus de victimes, qui à leur tour ne dirons rien. Parce que les victimes n’osent pas parler, n’osent pas aller porter plainte. Ce n’est pas une partie de plaisir, ça fait mal. On a honte. On se dit que ça doit être notre faute, qu’on l’a sûrement un peu cherché. Et puis qu’au final, ce n’est pas si grave…
Je ne vous raconte pas tout ça pour me poser en victime. Je me dis que si mon récit peut aider certaines personnes à se livrer, pour qu’on arrête de penser que finalement, ce n’est pas si grave. Alors j’aurai pris ma revanche.
Libérons cette parole. Celle des femmes victimes d’agressions sexuelles. Mais aussi celles des hommes, parce qu’il y en a. Et celle des enfants.
Un baiser forcé sur la joue ce n’est peut-être pas grand-chose, mais ça a fait de moi une victime d’agression sexuelle.
Ton récit est extrêmement poignant et j’espère sincèrement qu’il servira la cause de ces voies éteintes. Voilà bien longtemps que je parcoure The Comptoir sans y laisser un mot , mais là …. Bravo pour ce texte ! ❤️
C’est gentil merci, j’espère aussi qu’il pourra servir ne serait-ce qu’à une personne ce texte. Ça fera toujours une voix de plus.
J’ai eu du mal à lire ton billet sans réagir. Si je te laisse ce commentaire, c’est surtout pour te dire que nos paroles de femmes ne doivent plus jamais être niées de la sorte et que la violence des hommes qui abusent sexuellement des jeunes filles, des petites filles, des femmes est intolérable, et que nous devons absolument retrouver notre voix pour la dénoncer.
Merci du fond du coeur d’avoir retrouvé la tienne !
Merci de partager… tu as bien fait d’en parler a ta mere a l’epoque…c’est courageux (et de porter plainte aussi!) je pense que je ne l’aurais pas fait moi….